Les plaques carbone, inutiles en trail ?
Sur une VaporFly, le gain existe au dessus de 14km/h pour un bénéfice faible (1-2%). Pour une chaussures de trail, jamais tout à fait "carbone", où le 14km/h est rare, on peut sans doute oublier.
Les chaussures à plaque carbone peuvent augmenter les écarts, et les inégalités, entre les coureurs de tête de peloton et leurs poursuivants. Flirtant avec le dopage technologique, la littérature scientifique a confirmé les bénéfices des super-shoes sur route. Mais ces effets ne se retrouvent que pour certaines personnes, et dans certains contextes. Faut-il les interdire ? Peuvent-elles servir en trail ? On vous explique.
La révolution des super-shoes
Apparues autour de 2017, les super shoes et leurs plaques carbones ont révolutionné les chaussures de course à pied en promettant une amélioration des performances en endurance grâce à un meilleur retour d’énergie. Initialement conçues pour les épreuves sur route, comme la Vaporfly 4% de Nike, première super shoe du marché, les chaussures à plaque carbone font désormais leur apparition dans le monde du trail. Mais ces super shoes tiennent-elles réellement leurs promesses sur route ? Et surtout, leurs bénéfices peuvent-ils s’appliquer en trail, où les terrains accidentés et les dénivelés compliquent la donne ? Décortiquons cela ensemble !
Les « super shoes », comme on les appelle souvent, sont apparues avec des projets de marques cherchant à repousser les limites de la performance humaine, notamment avec Nike et son projet Breaking-2. Pour rappel, l’objectif de ce dernier était de réunir toutes les conditions optimales en termes d’entraînement, d’alimentation et de matériel pour permettre un marathon en moins de 2 heures. Bien que cette performance ne soit pas homologuée, car réalisée lors d'un événement non-officiel, l'objectif a été atteint le 12 octobre 2019, quand Eliud Kipchoge a parcouru les 42,195 km en 1h59min40s, chaussé de super shoes.
Une super shoe se compose de trois éléments clés :
une mousse ultra-dynamique de nouvelle génération ;
un rocker avant, et parfois arrière, soit une courbure de la semelle qui facilite la transition d’une attaque arrière ou médiane vers l'avant du pied ;
et enfin, la fameuse plaque en fibre de carbone, généralement intégrée dans la semelle intermédiaire pour augmenter la rigidité longitudinale (c’est-à-dire la résistance de la chaussure à la flexion avant-arrière), réduisant ainsi la déformation de la semelle et donc la dépense énergétique à chaque foulée.
La plaque carbone agit donc en rigidifiant la chaussure, soutenant le pied, limitant son affaissement lors de la poussée et accélérant le retour en position initiale. Cette configuration permet aux coureurs sur route d'optimiser chaque foulée. Avant de questionner l'utilité de cette technologie en trail, voyons ce que la littérature scientifique nous apprend sur son efficacité sur route.
Plaque carbone et Nike VaporFly 3 en arrière plan
Effet placebo ou bénéfices réels ?
L’objectif principal des chaussures à plaque carbone est d’améliorer l’économie de course. En augmentant la rigidité des chaussures, elles sont censées réduire le coût énergétique du déplacement. Autrement dit, à vitesse égale, un individu portant des chaussures avec plaque carbone devrait utiliser moins d’énergie et consommer moins d’oxygène que le même individu avec des chaussures sans plaque carbone. Ce postulat a été confirmé par les études scientifiques.
En 2021, Rodrigo-Carranza et al. ont réalisé une méta-analyse (le plus haut niveau de preuve scientifique) regroupant 12 études fiables. Ces recherches comparaient le coût du déplacement chez les mêmes individus portant des chaussures sans plaque carbone et des modèles équipés de plaques carbone. Les résultats ont montré qu’en moyenne, l’utilisation de chaussures à plaque carbone permettait une réduction significative du coût énergétique de 2,2 %. Cette diminution était cohérente entre les études, renforçant la fiabilité de ces conclusions statistiques.
Résultats de la méta-analyse de Rodrigo-Carranza et al., 2022
Toutefois, l’intérêt de cette méta-analyse réside surtout dans les conditions d’application de ces résultats : les analyses de sous-groupes ont permis de préciser dans quelles situations les plaques carbone sont les plus efficaces, et quand elles perdent de leur utilité.
Des bénéfices observables dans des conditions très particulières
Tout d’abord, les effets bénéfiques des plaques carbone dépendent de leurs caractéristiques. Les plaques intégrales amélioreraient significativement la performance, d’environ 2,3 %, tandis que celles placées uniquement sur une partie de la chaussure, comme seulement sur la moitié avant, n’auraient pas d’impact positif. De plus, seules les plaques carbone incurvées semblent apporter des bénéfices sur le coût du déplacement (en moyenne 3,5 %), contrairement aux plaques plates qui n’ont pas d’effet.
L’efficacité de cette technologie dépend également des coureurs eux-mêmes. En effet, pour réduire le coût du déplacement, une certaine vitesse est requise. Les plaques carbone étudiées induisent une diminution du coût énergétique de 1,5 % à environ 14 km/h, de 2,4 % à environ 16 km/h et de 3,5 % à environ 18 km/h. Toutefois, certains coureurs peuvent constater une augmentation de leur coût de déplacement avec des plaques, en fonction de leur technique de course et de leur biomécanique.
Résultats des analyses de sous-groupes de Rodrigo-Carranza et al., 2022
Ces différents résultats montrent que l’efficacité des plaques carbone dépend non seulement de la chaussure, mais aussi du coureur. Elles soulèvent ainsi la question de leur pertinence en trail.
En trail, une utilisation à côté de la plaque
Pour être efficace, une plaque carbone doit être courbée, intégrale, et le coureur doit atteindre une vitesse d'au moins 14 km/h pour en ressentir les premiers effets. En trail, si les spécifications techniques relèvent des concepteurs de chaussures, la vitesse dépend de l’athlète – or, rares sont les conditions où de telles vitesses sont atteintes.
Les principales marques de chaussures de trail proposent un modèle à “plaque carbone”, ci-dessus Hoka Tecton X3 ou New Balance SuperComp Trail.
Sur les formats courts, ces vitesses le sont en tête de peloton. Par exemple, sur le Marathon du Mont-Blanc 2024, les 3 meilleurs hommes et les 3 meilleures femmes dépassent régulièrement les 14 km/h de moyenne et maintiennent cette vitesse sur certaines portions. À partir du 60e finisher, plus personne n'atteint ces vitesses. Autrement dit, seuls 2,5 % des finishers pourraient, par moments, bénéficier des plaques carbone. Sur Sierre-Zinal, les résultats sont similaires, avec les 70 premiers ayant atteint et maintenu cette allure sur au moins une portion de la course.
En ultra-trail, c’est différent. Lors des UTMB 2022 et 2023, les éditions les plus rapides à ce jour, aucun coureur n'a même frôlé ces vitesses. Kilian Jornet a couru sa portion la plus rapide à 13km/h, en début de course. Jim Walmsley a couru la sienne (la même que Kilian) à 13,5km/h. De même, ces vitesses minimales ne sont jamais atteintes sur l'ultra du Trail du Saint-Jacques by UTMB, un des ultras les plus roulants du circuit.
Récemment, lors du Grand Trail des Templiers 2024, Thomas Cardin a dominé la course en dépassant fréquemment ces fameux 14 km/h. Cependant, après le 9e arrivant (sur 2223), plus personne n’y parvient. Le vainqueur de la SaintéLyon 2024, Thomas Cardin (à nouveau) a couru avec un prototype KipRun KD900X équipé d’une semelle extérieure cramponnée, et avec plaque carbone intégrale et incurvée. Ses poursuivants, Ben Dhiman et Andrzej Witek, étaient en MetaFujiTrail, super-shoes trail de Asics avec les mêmes caractéristiques. Avec une vitesse moyenne de 14km/h, et des passages autour des 15 km/h uniquement sur les 30 derniers kilomètres, même ces élites aux vitesses exceptionnelles bénéficient peu de cette technologie.
Aussi, en trail court, seules une poignée de coureurs et coureuses en tête de peloton peuvent atteindre les vitesses minimales requises pour que les plaques carbone soient efficaces – cette technologie leur sera sans doute utile, mais pas à leurs poursuivants. En trail long et en ultra, il est très rare d’atteindre ces vitesses, même pour les vainqueurs. Ainsi, la quasi-totalité des coureurs sur ces formats n’auront aucun avantage à utiliser des chaussures à plaque carbone. Si un athlète décide malgré tout de porter ce type de chaussure en ultra-trail, cela ne dégradera pas sa performance, et il ou elle pourrait y trouver un confort ou une sensation personnelle que la science ne mesure pas (p. ex. préférence pour la rigidité des chaussures). Cependant, les gains en termes de coût énergétique resteront absents.
Oublions les plaques carbone en trail
Rappelons également que les études portent sur des chaussures de route, en général légères. Rodrigo-Carranza et al. (2021) notent que les bénéfices des plaques carbones sont moins prononcés quand les chaussures s'alourdissent. De plus, les modèles testés étaient tous équipés de plaques intégrales en “vrai” carbone.
Aujourd’hui, le marketing a fait son effet et on parle facilement de chaussures “plaquées”, sous-entendant “plaque carbone intégrale”, pour en réalité des plaques parfois intégrale, parfois non ; et où le carbone peut être présent en tant que composite ; les chaussures de trail sont ainsi souvent hors du spectre de ces études.
En somme, bien que prometteuses sur route, les chaussures à plaque carbone offrent une efficacité relative en trail. Leur intérêt se limite principalement aux traileurs rapides sur des parcours courts et roulants, soit une minorité d’athlètes capables de maintenir des vitesses élevées. Et à condition que la plaque soit bien en carbone, intégrale et incurvée. En ultra-trail ou sur des terrains techniques et montagneux, on sort clairement du spectre. Pour les pratiquants occasionnels et les compétiteurs de milieu de peloton, ces super shoes n’offrent donc pas l'avantage espéré, mais démontré sur la route. À chacun de juger si la rigidité et le dynamisme leur plaisent, mais globalement, les plaques carbone en trail ne représentent pas la révolution que certains anticipaient.
Référence
Rodrigo-Carranza, V., González-Mohíno, F., Santos-Concejero, J., & González-Ravé, J. M. (2022). The effects of footwear midsole longitudinal bending stiffness on running economy and ground contact biomechanics: A systematic review and meta-analysis. European Journal of Sport Science, 22(10), 1508-1521.