Le froid et l’entraînement, un problème imaginaire
Souvent associées à une réduction ou un arrêt du trail, l’hiver est pourtant une saison clé pour bâtir les bases d’un été réussi ; et la littérature scientifique est moins frileuse que les athlètes.
Pourquoi pratiquer en hiver ?
Le froid est souvent redouté, et perçu comme un ennemi des entraînements en endurance. On pense régulièrement que s’entraîner dans le froid expose davantage aux blessures ou qu’il ne permet pas de développer efficacement les qualités recherchées. Pourtant, la littérature scientifique est bien moins frileuse que les coachs et les athlètes sur le sujet.
À mon sens, il existe trois raisons majeures de maintenir un entraînement en endurance et en trail pendant l’hiver, malgré les températures basses.
Ne pas se désentraîner : Dès une semaine de réduction ou d’arrêt de l’entraînement, certaines capacités commencent à diminuer. Par exemple, la VO2max se dégrade, tout comme la capacité à soutenir des efforts prolongés. Après quatre semaines sans entraînement, l’endurance globale peut chuter jusqu’à 21 % (Chen et al., 2021). Une seule séance hebdomadaire à haute intensité, à pied ou sur un autre support, suffit à limiter ces pertes.
Maintenir les adaptations mécaniques et structurelles : La course à pied induit des adaptations au niveau des muscles, des tendons et des os en réponse au stress mécanique. Bien que certains athlètes, comme Germain Grangier, choisissent d’arrêter complètement la course à pied en hiver et performent tout de même, cela peut allonger le temps de reprise au printemps et augmenter le risque de blessures pendant cette période. Maintenir une pratique, même légère et occasionnelle, permet de conserver ces adaptations spécifiques et de faciliter la reprise.
Développer des qualités spécifiques pour la saison à venir : Au printemps et en été, les montagnes deviennent irrésistibles, et les séances sur piste ou en salle sont parfois perçues comme une contrainte. L’hiver est donc une période idéale pour réduire le volume des entraînements en endurance tout en se concentrant sur des qualités parfois négligées, comme le VO2max ou la force maximale, tous deux essentiels en trail et en ultra-trail.
Le métabolisme humain s’adapte au froid
Courir en hiver oblige le corps à s’adapter pour maintenir sa température centrale, un processus appelé thermorégulation. Face au froid, le premier mécanisme activé est le frisson musculaire, qui produit de la chaleur mais consomme du glycogène. Bien que ce processus devienne légèrement plus efficace avec le temps, il reste toujours énergivore.
En parallèle, une vasoconstriction périphérique se met en place pour préserver la chaleur centrale, limitant ainsi le flux sanguin vers les muscles. Cette diminution de vascularisation des tissus adipeux entrave l’utilisation des lipides à l’effort, au profit des glucides. Par ailleurs, le froid favoriserait le recrutement des fibres musculaires de type 2, plus gourmandes en glucose, au détriment des fibres de type 1, qui utilisent préférentiellement les lipides.
Ces mécanismes combinés rendent le métabolisme aérobie plus dépendant des stocks de glycogène et des glucides alimentaires qu’à des températures modérées (Castellani & Tipton, 2015). Enfin, contrairement à ce qui est observé dans des environnements chauds, le métabolisme ne s’acclimate pas au froid.
→ Les réponses physiologiques au froid persistent même après des expositions répétées (Daanen & Van Marken Lichtenbelt, 2016).
Le froid impacte les performances mais pas l’entraînement
À l’effort dans le froid, le métabolisme humain, dont le rendement énergétique est comparable à celui d’une machine à laver (seulement un tiers de l’énergie consommée est utilisé pour le mouvement, les deux tiers restants se dissipant sous forme de chaleur), produit la chaleur nécessaire pour lutter contre les basses températures extérieures.
L’impact du froid sur la performance dépend largement de l’intensité de l’effort. À faible intensité, la chaleur produite est insuffisante pour compenser les pertes thermiques. Le corps active alors des mécanismes comme le frisson musculaire, ce qui augmente la consommation de glycogène et accélère l’épuisement énergétique (Shephard, 1993). Les coureurs à faible intensité, notamment en cas de pause prolongée, sont plus exposés au risque d’hypothermie en raison de cette faible production de chaleur métabolique.
À des intensités modérées ou élevées, les effets du froid sont bien moins prononcés. La production de chaleur métabolique compense les pertes, permettant de maintenir une température centrale stable. C’est d’ailleurs pour cette raison que les performances en endurance atteignent leur pic dans des environnements modérément frais (autour de 11 à 13 °C, Mantzios et al., 2022) avant de décliner dans des températures plus extrêmes (Sandsund et al., 2012). On remarquera néanmoins que les performances sont nettement plus affectées par la chaleur que par le froid, comme le montre cette analyse de Mantzios et al., 2022 sur 1258 courses d’athlétisme officielles, regroupant 7867 athlètes.
Cependant, lorsque le mercure descend trop bas, même les efforts intenses peuvent être affectés par des facteurs comme la vasoconstriction et la diminution de la température musculaire, ce qui peut, par exemple, réduire la production de puissance (Castellani & Tipton, 2015).
Concernant l’entraînement, à ce jour, aucune étude ne montre que le froid augmente le risque de blessures ou diminue les bénéfices d’une séance. Une fois l’échauffement terminé – bien que celui-ci puisse être légèrement plus long – les adaptations physiologiques obtenues semblent similaires à celles observées dans des conditions plus confortables. Ainsi, le froid n’affecte pas négativement les entraînements eux-mêmes.
En cas de froid très marqué, certains risques existent cependant, comme l’hypothermie (notamment en cas d’arrêt prolongé), les engelures (si l’équipement est inadapté), ou encore les chutes sur des sols gelés. Ces situations restent toutefois marginales. Enfin, certaines personnes sensibles peuvent ressentir une irritation des voies respiratoires (Wallace et al., 2023), mais ces cas semblent également limités.
Trois réactions à considérer pour s’entraîner dans le froid
Tout au plus, s’entraîner dans le froid nécessite des ajustements pour s’adapter aux températures basses. Trois aspects clés méritent une attention particulière.
1. Équipement
Pour affronter le froid, une stratégie vestimentaire bien pensée est essentielle. Le système à trois couches reste la référence : une première respirante pour évacuer la sueur, une deuxième isolante pour conserver la chaleur, et une dernière isolante pour bloquer les entrées d’air froid (p. ex. veste coupe-vent ou imperméable). Les extrémités, particulièrement sensibles aux pertes de chaleur, doivent être protégées avec des gants, un bonnet ou un cache-cou. Cependant, attention à ne pas porter trop de vêtements, car cela entravera l’évacuation de la chaleur produite par l’effort, augmentant le risque de “surchauffe” (Sandsund et al., 2012). Les vêtements doivent donc être choisis et modulés de manière stratégique.
2. Alimentation et hydratation
Le froid, en modifiant les priorités métaboliques, augmente légèrement la dépendance aux glucides. Il peut donc être utile d’ajuster ses apports en glucides pour répondre à cette demande énergétique accrue. En parallèle, bien que le froid diminue la sensation de soif, les besoins en hydratation demeurent, notamment en raison des pertes hydriques par la respiration. Il est donc essentiel de rester attentif à ses apports hydriques pendant les séances hivernales.
3. Éviter la fatigue thermorégulatrice
Après l’effort, le corps est particulièrement vulnérable au froid. Le phénomène de “fatigue thermorégulatrice” '(Castellani et Tipton, 2015), bien que peu documenté, suggère que l’exposition prolongée au froid pourrait altérer la capacité du corps à maintenir une température centrale stable. Pour éviter cela, il est recommandé de se couvrir rapidement avec des vêtements secs et plus chauds que ce que l’on pourrait penser.
Courir en hiver est donc un défi mineur, loin d’être risqué pour les pratiquants bien préparés, et qui peut même offrir des bénéfices intéressants dans le cadre de la construction d’une saison d’entraînement. Bien que le froid ait un impact sur la physiologie, la chaleur métabolique produite lors de l’effort compense une grande partie de ses effets. Avec une gestion appropriée de l’équipement, des ravitaillements et des habitudes post-effort, les rares risques spécifiques à cette saison peuvent être largement anticipés et évités.
En résumé
S’entrainer au froid n’augmente pas le risque de blessures ;
Le corps à l’effort est plus dépendant de glucides lorsqu’il fait froid ;
Le fait de s’entrainer au froid ne rend pas plus performant dans les conditions de froid ;
Le froid n’impacte pas l’entrainement lui même, il reste intéressant de s’entrainer quand il fait froid.
Références bibliographiques
Castellani, J. W., & Tipton, M. J. (2015). Cold stress effects on exposure tolerance and exercise performance. Comprehensive Physiology, 6(1), 443-469.
Daanen, H. A., & Van Marken Lichtenbelt, W. D. (2016). Human whole body cold adaptation. Temperature, 3(1), 104-118.
Chen, Y. T., Hsieh, Y. Y., Ho, J. Y., Lin, T. Y., & Lin, J. C. (2022). Two weeks of detraining reduces cardiopulmonary function and muscular fitness in endurance athletes. European Journal of Sport Science, 22(3), 399-406.
Mantzios, K., Ioannou, L. G., Panagiotaki, Z., Ziaka, S., Périard, J. D., Racinais, S., … & Flouris, A. D. (2022). Effects of weather parameters on endurance running performance: Discipline-specific analysis of 1258 races. Medicine and Science in Sports and Exercise, 54(1), 153.
Sandsund, M., Saursaunet, V., Wiggen, Ø., Renberg, J., Færevik, H., & Van Beekvelt, M. (2012). Effect of ambient temperature on endurance performance while wearing cross-country skiing clothing. European Journal of Applied Physiology, 112, 3939 - 3947.
Shephard, R. J. (1993). Metabolic adaptations to exercise in the cold: an update. Sports Medicine, 16, 266-289.
Wallace, P. J., Hartley, G. L., Nowlan, J. G., Ljubanovich, J., Sieh, N., Taber, M. J., ... & Cheung, S. S. (2024). Endurance capacity impairment in cold air ranging from skin cooling to mild hypothermia. Journal of Applied Physiology, 136(1), 58-69.