Courir à jeun, ça ne sert à rien !
En course à pied et en trail, les footings à jeun sont presque une institution, avec moult bénéfices annoncés. Il s'avère que ce n'est pas le cas, voire néfaste si on en abuse.
Les footings à jeun sont la pratique par laquelle nous sommes tous passés, sans vraiment savoir pourquoi. Et s’il n’y avait en fait rien d’intéressant à savoir dessus ? La science s’est questionnée sur cette pratique, et les réponses qu’elle a trouvées, à la frontière entre inefficacité et risques pour la santé, ne sont pas celles qu’on attendait. On vous explique.
Courir à jeun, vider les stocks mais avancer quand même
Dans le monde de la course à pied, les footings à jeun sont presque une institution pour de nombreux athlètes. Pratiqués parfois de manière dogmatique ou dans un objectif bien précis, ces entraînements réalisés avant la moindre bouchée de nourriture promettent des bénéfices souvent fantasmés.
L'entraînement à jeun consiste à effectuer une séance sportive sans apport alimentaire préalable, généralement le matin au réveil. Cette pratique repose sur une théorie attrayante : en privant le corps de sources d’énergie extérieures (exogènes), on l’inciterait à puiser dans ses réserves internes (endogènes), notamment les graisses, pour améliorer l'endurance et la capacité à soutenir un effort prolongé, même lorsque les réserves de glucides s’amenuisent, comme en compétition.
Pour saisir les bénéfices espérés des entraînements à jeun, faisons un bref détour par les sources d'énergie du métabolisme pendant l'effort. En endurance, trois macronutriments sont impliqués dans la production d'énergie : protéines, glucides et lipides ; qui peuvent provenir de réserves internes (c.-à-d. endogènes) ou de l'alimentation (c.-à-d. exogènes)
Les protéines, qu'elles soient endogènes ou exogènes, sont très peu utilisées, même dans les efforts longs comme l’ultra-trail.
Les glucides sont largement sollicités, mais les réserves endogènes sont limitées et ne couvrent qu'environ 3 heures d'effort. Les apports exogènes en glucides prolongent leur utilisation, tant qu'ils sont consommés.
Les lipides endogènes, au contraire, sont abondants et pourraient alimenter jusqu'à 70 heures d'effort, tandis que les lipides exogènes sont peu utilisés et ne nous intéressent pas ici.
Le matin, au réveil, les réserves de glucides sont amoindries car, pendant la nuit, le corps utilise ses stocks pour maintenir la glycémie et soutenir les fonctions vitales. En s'entraînant à jeun, l'athlète pousse son métabolisme à mobiliser les lipides endogènes pour produire de l’énergie, espérant ainsi, à terme, optimiser cette voie métabolique. Cependant, la réalité est souvent plus complexe.
De belles promesses non-tenues
Les études menées sur les entraînements à jeun montrent que leur efficacité reste, au mieux, nulle. En 2021, Gejl et Nybo ont réalisé une méta-analyse (le plus haut niveau de preuve scientifique) portant sur 9 études à ce sujet. Dans chacune de ces études, les participants effectuaient un premier test d'endurance avec des réserves de glucides diminuées, puis suivaient un protocole de plusieurs semaines incluant soit des séances à jeun, soit des séances après apport de glucides. À l'issue du protocole, le test d'endurance était répété. Les résultats ont révélé que l'intégration régulière de séances à jeun n’apportait aucun bénéfice supplémentaire significatif pour l’endurance des participants. Sur les 9 études, une seule montrait un léger avantage en faveur des footings à jeun, tandis que les 8 autres concluaient à leur inefficacité. En somme, courir à jeun ne procure pas plus de bénéfices que de courir en ayant consommé un repas.
Résultats de la méta-analyse de Gejl & Nybo, 2021
En 2018, Aird et al. avaient déjà réalisé une méta-analyse sur le sujet, incluant divers contextes sportifs au-delà de l'endurance. Leurs conclusions allaient dans le même sens : les entraînements à jeun n’offraient, ni à court terme ni à long terme, de bénéfices supplémentaires pour l'endurance. Ils ont également noté que si l'exercice à jeun augmente temporairement l'utilisation des graisses et diminue celle des glucides pendant l’effort, cette modification de l'utilisation des substrats énergétiques ne se maintient pas dans le temps.
En 2024, Pietro-Bellver et al. ont approfondi cette question. Cette étude, qui ne fait pas partie de la méta-analyse de 2021 mentionnée plus haut, a examiné l'impact de 5 semaines d'entraînement incluant des séances régulières avec de faibles réserves de glucides (endogènes) sur les performances en endurance de cyclistes, comparées à celles de cyclistes consommant des glucides avant chaque séance. À la fin des 5 semaines, les résultats n’ont révélé aucune différence significative dans l’utilisation des glucides et des lipides à l’effort, confirmant encore une fois l'inefficacité des entraînements à jeun pour induire des effets durables sur l'endurance.
Les risques de courir à jeun
Si les entraînements à jeun n'étaient qu'une question d'efficacité limitée, sans plus de bénéfices que les séances réalisées après avoir mangé, les athlètes pourraient les adopter pour des raisons pratiques, sans conséquence majeure. Mais ce n’est pas si simple. Courir à jeun comporte aussi des contraintes et des risques importants.
Premièrement, les entraînements à jeun limitent le type de séance réalisable. Ce type d’effort entraîne souvent une fréquence cardiaque plus élevée pour une même intensité (p. ex., Nieman et al., 1987) et une fatigue intra-séance et post-séance plus prononcées, nécessitant une récupération accrue (p. ex., Veasey et al., 2015). À jeun, il sera donc déconseillé de réaliser des séances qualitatives, comme des fractionnés ; ou des sorties longues.
En outre, cet état de privation de glucides peut avoir des répercussions sur la santé des athlètes, comme le soulignent Ryan et al. dans leur revue de littérature de 2023. Par exemple, la pratique régulière de l’entraînement à jeun pourrait augmenter le risque de fracture de fatigue (Heikura et al., 2019), d’immunodépression (c’est-à-dire une baisse de l’efficacité du système immunitaire, Costa et al., 2005), et de blessures en général (p. ex., Rauh et al., 2014). De plus, chez les athlètes féminines, les séances à jeun augmenteraient le risque de développer des symptômes du syndrome de déficit énergétique relatif dans le sport (RED-S, Todd et al., 2022).
Il faut arrêter les entraînement à jeun
Toutes ces évidences scientifiques convergent vers la même conclusion : les entraînements à jeun n’apportent pas plus de bénéfices que ceux effectués après avoir mangé ou avec des apports glucidiques pendant l’effort. En outre, leur répétition régulière pourrait avoir des effets néfastes sur la santé des athlètes. En 2022, Podlogar et al. soulignaient d’ailleurs que la capacité d’un athlète à mobiliser les lipides endogènes durant l’effort est corrélée au volume d’entraînement en endurance. En d'autres termes, il n’est pas nécessaire de forcer ce processus en se privant de glucides : avec l’entraînement régulier, le métabolisme apprend naturellement à utiliser les graisses, et les glucides, comme sources d’énergie conjointes.
Il est donc temps de mettre de côté cette pratique populaire, et de privilégier les entraînements après un apport alimentaire. Si vous préférez courir tôt le matin avant le petit-déjeuner pour des raisons pratiques, des solutions existent. Par exemple, consommer une crème énergétique sportive au réveil, très digeste, vous permet de partir courir tout en évitant la privation de glucides. Vous pouvez également compenser le manque de stocks de glucides en en consommant pendant votre séance matinale sous forme de compotes, gels, barres, ou boissons énergétiques, avec un apport de 40 à 60 grammes par heure. Enfin, si vous choisissez malgré tout de courir à jeun, veillez à bien vous alimenter après l’effort et à augmenter vos portions durant la journée pour reconstituer vos réserves de glucides.
Références
Costa, R. J., Jones, G. E., Lamb, K. L., Coleman, R., & Williams, J. H. (2005). The effects of a high carbohydrate diet on cortisol and salivary immunoglobulin A (s-IgA) during a period of increase exercise workload amongst Olympic and Ironman triathletes. International journal of sports medicine, 26(10), 880-885.
Gejl, K. D., & Nybo, L. (2021). Performance effects of periodized carbohydrate restriction in endurance trained athletes–a systematic review and meta-analysis. Journal of the International Society of Sports Nutrition, 18, 1-12
Heikura, I. A., Quod, M., Strobel, N., Palfreeman, R., Civil, R., & Burke, L. M. (2019). Alternate-day low energy availability during spring classics in professional cyclists. International Journal of Sports Physiology and Performance, 14(9), 1233-1243.
Nieman, D. C., Carlson, K. A., Brandstater, M. E., Naegele, R. T., & Blankenship, J. W. (1987). Running endurance in 27-h-fasted humans. Journal of Applied Physiology, 63(6), 2502-2509.
Podlogar, T., & Wallis, G. A. (2022). New horizons in carbohydrate research and application for endurance athletes. Sports Medicine, 52(Suppl 1), 5-23
Prieto-Bellver, G., Diaz-Lara, J., Bishop, D. J., Fernández-Sáez, J., Abián-Vicén, J., San-Millan, I., & Santos-Concejero, J. (2024). A Five-Week Periodized Carbohydrate Diet Does Not Improve Maximal Lactate Steady-State Exercise Capacity and Substrate Oxidation in Well-Trained Cyclists compared to a High-Carbohydrate Diet. Nutrients, 16(2), 318.
Todd, E., Elliott, N., & Keay, N. (2022). Relative energy deficiency in sport (RED-S). British Journal of General Practice, 72(719), 295-297.
Veasey, R. C., Haskell-Ramsay, C. F., Kennedy, D. O., Wishart, K., Maggini, S., Fuchs, C. J., & Stevenson, E. J. (2015). The effects of supplementation with a vitamin and mineral complex with guaraná prior to fasted exercise on affect, exertion, cognitive performance, and substrate metabolism: a randomized controlled trial. Nutrients, 7(8), 6109-6127.
Solide, démythifiant, et à l'inverse de plusieurs de (mes) vieilles lunes : merci Cyril ! (mais tu es sûr, je veux dire sûr SÛR que ça fait pas maigrir ? allez ?)